Notre lettre 1234 publiée le 10 juillet 2025

L’EGLISE, SIGNE DE DIEU

ET ANNONCIATRICE DE LA PAIX...

QU’EST-CE À DIRE ?

UN PLAIDOYER
DE PHILIPPE DE LABRIOLLE
POUR LES PRETRES
ET LES FIDELES
QUI VEULENT RESTER CATHOLIQUES

La conférence donnée à Lourdes le 24 mars 2012, par Mgr de Moulins Beaufort, évêque auxiliaire de Paris, pour le cinquantième anniversaire du concile Vatican II, n’est pas dénuée d’ambition. Ni celle de répondre à la question posée en titre de sa conférence et que reprend la présente réflexion, ni celle de se faire connaître comme candidat à un magistère de plein exercice en affichant une gnose particulièrement hardie. Réfléchir sur l’identité ecclésiale fut la grande affaire « du premier concile qui se soit tenu après la disparition des Etats pontificaux », selon Mgr Haubtmann, qui lui-même, le 14 novembre 1966, fit une communication sur Vatican II à l’académie des sciences morales et politiques de l’Académie française. L’ancien recteur de l’Institut catholique de Paris s’y affirme être le rédacteur de la constitution pastorale Gaudium et Spes ; excusez du peu. Près de cinquante ans plus tard, et surtout 2000 ans après sa fondation, à en croire ces deux prélats, l’Eglise, ce n’est pas ce que vous croyez, foi d’initiés ! Vraiment ?

Pourquoi tant de mystère ? Pourquoi nous tenir perpétuellement la dragée haute, comme si l’esprit de la Révélation échappait indéfiniment au commun des baptisés ? D’innombrables publications meublent l’intervalle séparant 1966, année des premières alarmes, de l’an de grâce 2012, à l’attention d’une intelligentsia influente : En cours de route, notamment l’année 1984, Mgr Coffy faisait le point sur « L’Eglise », dans la collection « L’héritage du Concile » des éditions Desclée à l’intention d’un large public.

Trois textes parmi d’autres. Trois réflexions d’autorité modeste a priori. Trois dialectiques habiles, offertes à l’urbi plutôt qu’à l’orbi, mais « parlant vrai » quant à la pensée conciliaire ambiante. Ambiante, et puissamment normative. Pas question de renâcler, sinon la carrière ecclésiastique est compromise ; on ne badine pas avec l’amour conciliaire. Trois lectures utiles, donc, pour tenter de comprendre ce qui s’est passé dans l’Eglise depuis cinquante ans. Chacune contient sa propre hardiesse, et peut affirmer sa clairvoyance sans engager le Magistère romain. Lequel peut laisser dire, par d’autres, ce qu’il ne dirait pas lui-même. Si l’enhardi n’est pas démenti par Rome, et qu’il conserve son poste, c’est que Rome acquiesce. Le fiasco conciliaire se serait il produit par l’opération du Saint Esprit ?

Avant d’aller plus loin dans les interrogations qu’un quidam prend la liberté de formuler en vertu du droit naturel à chercher son bien propre et celui des siens, il convient de rappeler le droit des baptisés à recevoir l’enseignement nécessaire au Salut. Ignorants et bornés, mais intelligents et libres, nous ne saurions toutefois concéder au vicaire savoyard de Jean Jacques que notre conscience est, de façon immanente, un guide assuré. Nul instinct divin ne nous tient lieu d’immortelle et céleste voix. Rousseau, dont le trois centième anniversaire de la naissance échoit en 2012, est évidemment d’un avis contraire, le concile Vatican II aussi, quoique différemment. Il faut expliciter cela. L’Eglise dépérit d’une méprise incompréhensible aux non initiés, lesquels répugnent à croire que les paroisses diffusent une religion nouvelle, et surtout, fausse, tant elle se veut pacifique. Que l’Eglise soit déclarée malade du concile scandalise le fidèle moyen. Pour être plus précis, un tel diagnostic suggère une perte de confiance dans les Pasteurs que l’Institution nous donne et crée un sentiment envahissant d’insécurité : Si Notre Mère se trompe, ou nous trompe, à qui irions nous ? Si nous n’admettons pas que ceux qui parlent en son nom puissent se tromper et nous tromper, il nous faut avaler la cigüe avec piété filiale : Croire, avec Gaudium et Spes, que Dieu parle directement à la conscience de sa créature, ce qui rend inutile l’apostolat, et a fortiori la mission, tels que l’Eglise les concevait hier. Que s’impose comme Mars en carême l’idée selon laquelle, depuis le Verbe s’est incarné, le Salut de tous est acquis, de facto, volens nolens. Que ce que Dieu veut, Dieu le fait, puisque l’esprit souffle où il veut. Il veut que tous soient sauvés ; tous le sont désormais. Que l’enfer est fictif, ou vide de nos semblables. Que les soldats du Christ ont droit au repos du guerrier. Que toute expansion conquérante, notamment missionnaire, ne peut que froisser les consciences formées dans des cultures étrangères à l’influence ecclésiale ; et faire obstacle à l’action intime de Dieu, et qui s’exerce d’une manière « que Dieu seul sait » (GS).

« Non nova sed nove ». La concision du latin force l’admiration : En si peu de mots, tout le programme conciliaire est énoncé par le Pape Jean XXIII. Non pas des choses nouvelles, mais une façon nouvelle. On connaît la suite. Cinquante ans après, force est de reconnaître que l’on ne parvient pas à comprendre pourquoi l’apostasie massive et la sécularisation galopante n’ont pas ouvert les yeux de la hiérarchie ecclésiale. De simples prêtres, dont l’abbé de Nantes, s’exprimaient publiquement, dès 1966, quant aux effets délétères déjà multiples. Quelques évêques, ultra minoritaires, feront ce qu’ils pourront. Sous l’opprobre de leur Eglise. Dès lors, il faut se résoudre à raisonner autrement, et logiquement : Les effets du concile ont été les buts du concile. Car il a été mis en place par ceux qui l’ont fait. Ce qui s’est produit a été voulu, organisé, accompagné, réalisé. Et ça continue.

« Nova et vetere », telle pourrait être l’histoire réelle des cinquante dernières années de notre Eglise : Du neuf, et à l’ancienne ! Il est patent que l’obéissance aux clercs, la crainte de se voir gros Jean en remontrant à son curé, le risque de céder à l’orgueil et de manquer à la charité, l’effroi de commettre le péché contre l’Esprit, seul irrémissible, ont été les dispositions vertueuses qui ont facilité la démolition méthodique. Les fidèles rivés à leur paroisse se sont laissé convaincre qu’aujourd’hui n’est pas hier, acquiesçant à la seule permanence qui soit, celle du pouvoir en place. Pourquoi ce concile détruit il tout ce qu’il touche, là où il est appliqué avec soin ? Est-ce qu’un psychiatre pourrait se montrer utile en la matière ? Acceptons en l’augure, sans obligation de résultat…

C’est le respect du prêtre ordonné qui, de vertu, est devenu vice, lorsqu’il fallût faire taire sa raison pour accepter l’inacceptable. Il faut lire et relire le texte de Mgr Haubtmann, repris par la Documentation Catholique du 12 Juin 2025 , pour mesurer la jouissance du clerc mondain s’autorisant à dire tout et son contraire, avec humilité condescendante et transcendance satisfaite. Le prélat se montre joueur, avec aisance, en parfait sophiste, tant il est sûr d’avoir le dernier mot. A le lire, nous comprenons, mais un peu tard, que nous avons été mystifiés par voie cléricale.

On pourra objecter que l’immense majorité des pratiquants a déserté, et qu’en conséquence, la séduction cléricale n’a pas fonctionné. Mais qui peut affirmer que cette désertion fut un échec aux yeux du pouvoir en place? N’a-t-on pas souhaité « dégraisser le mammouth », pour un motif connu de quelques uns seulement ? Les chiffres sont sévères, mais l’argument chiffré n’est opposable qu’à ceux qui en tiennent compte. Mgr Haubtmann, rédacteur de Gaudium et Spes, rappelons le, véritable pierre de Rosette de Vatican II, anticipe ce mouvement d’implosion vers l’invisible, et il le cautionne ! Le Concile, affirme-t-il, a voulu le dégagement politique de l’Eglise. Or, quel est, à part l’argent, le nerf de la démocratie parlementaire, sinon le nombre. Ecoutons Mgr : « Ce dégagement politique de l’Eglise, qui coïncide d’ailleurs avec la volonté de présence chrétienne dans tout l’humain, y compris dans le secteur politique, m’apparait comme un phénomène majeur, peut-être comme « le » phénomène majeur du christianisme au XXe siècle. Il correspond en effet à une prise de conscience nouvelle de la spécificité du fait religieux, qui atteint le tréfonds même d’un être humain, et ce point de profondeur où Dieu-qu’on reconnaisse ou non sa voix-interpelle l’homme, et où se joue sa destinée. » Mgr Haubtmann ne dit pas que cette présence chrétienne doit être visible. Mais tout le monde a pensé, avec bon sens, que toute « présence » était nécessairement visible ! En fait, le dégagement politique a donné le signal de la fonte des troupes : La force perçue de l’Eglise étant moribonde, l’alliance avec une puissance déclinante perdait toute pertinence. Mais comment organiser la débandade sans sonner la retraite ni scandaliser les fidèles ? En légitimant la dispersion. Mgr Coffy, lui, parle de diaspora des fidèles, voulue implicitement par le Concile, car corollaire de cette prise de conscience nouvelle, à savoir que Dieu parle à chacun, dans le monde en l’état. Que Dieu n’ait pas besoin de l’Eglise pour parler à tout être humain avait incontestablement échappé à l’Eglise préconciliaire. Rien n’est impossible à Dieu, certes, mais Notre Seigneur en a disposé selon Ses Vues, en remettant à son Epouse les Clés du Royaume. Si cette immanence du Surnaturel est fondée, l’Eglise n’a plus de raison d’être. Réciproquement, tant qu’elle sera visible, l’Eglise restera une force, et son impact politique persistera. Ce qu’à Dieu ne plaise ?

Devant cet incroyable contrepied conciliaire, déployé sans vergogne dès 1966, dans un prestigieux cénacle, on voudrait croire au gag télévisuel, mais l’anachronisme serait patent ; à l’opinion marginale d’un dignitaire frappé par l’hybris, mais qui s’est risqué à le désavouer ? Si l’institution ecclésiale s’est finalement refusée à la consomption totale, suicidaire, notamment sous le pontificat du très médiatique Jean Paul II, a-t-elle, somme toute, tenu un discours différent, et publiquement rectificateur d’un projet absurde? Le relativisme, avec les rassemblements hétéroclites d’Assise, a poursuivi et amplifié ses ravages, notamment dans les familles fidèles mais candides. Sous Benoit XVI, la publication du texte de 66, dans la très officielle « Documentation Catholique », n’a pas l’allure d’un désaveu. La Nouvelle Evangélisation n’est pas la reconquête des leviers sociétaux en vue du salut du plus grand nombre, objectif devenu sans objet (cf. supra). L’Institution affaiblie n’en a d’ailleurs plus les moyens, en l’état actuel.

Venons-en au bilan de Mgr de Moulins Beaufort. « L’Eglise a été le centre des préoccupations du deuxième Concile du Vatican ». L’Archevêque de Milan, futur Paul VI donnait de la voix, le 5 décembre 1962 : « Qu’est ce que l’Eglise et que fait-elle ? Tous attendent que le Concile l’expose très clairement ». L’air est désormais connu, mais la question, une nouvelle fois posée, n’obtient qu’une réponse différée : « L’Eglise ne peut rien par elle-même, elle sait qu’elle reçoit tout du Christ » ! Cette citation de Paul VI, faisant suite à la précédente, « commande tout » affirme l’orateur, qui s’adresse aux « Eglises diocésaines ». « Par le Concile Vatican II, l’Eglise a accepté le monde tel qu’il est » ; « Certes, le monde moderne est très largement un monde qui s’est détaché de l’Eglise » ; l’Eglise a donc accepté que l’on se détache d’elle ? Le détachement est un fait brut : Il se constate, mais il y a plus que cela dans cette acceptation ! « L’Eglise avait gagné la liberté d’agir sans avoir à se lier à des Etats pour remplir sa mission » ; même pas mal ! Elle n’a pas besoin de troupes : « Ce qu’est l’Eglise par la grâce du Christ, elle a les moyens de le devenir(…) dans un monde complexe mais qui attend le Christ mieux qu’il ne le sait et que le Christ travaille plus qu’il ne le voit souvent, même s’il comporte des forces de refus considérables. » Est-ce clair ? Si tout cela veut dire quelque chose, c’est ceci : L’Eglise n’a pas besoin d’exister sous sa forme historique (politique, NDLR) pour que le Christ agisse sur un monde qui n’attend que Lui ! Le dégagement politique de l’Eglise est encore incomplet, mais justifié, et finalement, providentiel !

Si « l’Eglise existe par l’envoi des Apôtres qui partagent ce qu’ils ont reçu du Seigneur » (historiquement ou pneumatiquement ?) (…), « le Concile a défini la sacramentalité de l’épiscopat : il n’est pas qu’un degré d’organisation de l’Eglise, il la définit dans son être même ». « Dans le collège des Evêques, au long de l’histoire, se laisse voir ce qui n’est pas encore visible mais qui est acquis déjà par le Christ mort et ressuscité pour nous : le rassemblement de tous les hommes que Dieu appelle au salut dans l’unité éternelle de la charité. » Ce que vos « yeux de chair » ne voient pas est déjà acquis. Vous pleurez sur ce que vous appelez des ruines, alors que le Royaume est déjà là ! Mais où ça ? Là où le collège épiscopal vous dit qu’il est, sous vos yeux de mirauds. Vous pensiez que le Royaume, c’était l’Eglise d’hier, qui décline ? Que nenni. Qui voit aujourd’hui le collège épiscopal uni voit le Royaume ! Il fallait oser le dire clairement, Mgr de Moulins Beaufort le fait.

Poursuivons : « Ce qui est décisif du peuple de Dieu, c’est qu’il est le peuple saint, signe au milieu de ce monde de la sainteté de Dieu et de la sainteté à laquelle Dieu appelle les hommes et dont il les rend capable dans le Christ » ; Mais que signifie être saint ? L’est on ontologiquement, ou s’y efforce-t-on axiologiquement et sacramentellement ? C’est, in fine, « un don de son Seigneur qui agit par l’Esprit Saint avec force et douceur au plus intime des libertés et non d’un consensus social ou culturel » (genre chrétienté par exemple). Patience, vous allez comprendre. « La société visible, à un moment donné du temps, dans tel pays ou à l’échelle du monde, que constitue l’Eglise catholique donne une figure concrète à l’œuvre de Dieu qui travaille à rassembler les hommes pour l’éternité dans le Corps du Christ, mais n’absorbe pas tout ce travail ». L’orateur lâche du lest sur l’Eglise visible, puis repart à l’assaut. « L’appartenance des libertés au Christ ou le refus de celles-ci d’être à lui ne sont connus que de Dieu seul », vraiment ? ; « Ce temps est celui de la patience de Dieu », soit ; « Cette vision suppose que l’Eglise elle-même soit toujours en acte de chercher à correspondre à ce qu’elle est. La nouveauté de Vatican II est d’exprimer nettement cette exigence. » ! Avant Vatican II, c’était flou, flou. Ben voyons !

Voici une belle saillie, patiemment préparée : « L’Eglise n’est pas une réalité toute faite, une institution qui n’aurait qu’à s’efforcer de se perpétuer sans changement à travers le temps. Elle est AU CONTRAIRE avant tout un don reçu d’en haut, à recevoir toujours mieux à travers l’histoire, l’Esprit Saint travaillant de l’intérieur le corps qu’est l’Eglise (…)pour que le don du Christ pénètre davantage l’humanité et y porte davantage de fruits . » Avez-vous suivi ? Si le monde n’est pas saint, c’est parce que l’Eglise ne l’est pas assez. L’appel de tous à la sainteté, dans l’Eglise, fera la sainteté de tous, hors de l’Eglise. Sans résidu, sans bronca, sans sédition. Alors, pourquoi ça ne marche pas ? Parce que c’est faux !

Comme vous y allez, objectera-t-on encore ! Et de quel droit trancher ainsi ? Eh bien, nous pouvons et nous devons nous réclamer du « Commonitorium » de Saint Vincent de Lérins et ne pas tout gober au nom de l’autorité ! On ne peut pas évoluer indéfiniment entre ciel et terre, jongler avec le visible et l’invisible, les escamoter comme au jeu de bonneteau sans que se pose à un moment donné la question du réel de tous cela ; Le dégagement politique de l’Eglise et l’effet contagieux de la sainteté universelle, c’est le beurre et l’argent du beurre. L’image est un peu triviale, certes, mais la sainteté vraie, telle que l’Eglise s’est risquée à la distinguer, a toujours été profondément visible et influente, par l’héroïcité des vertus qu’elle constatait. Mais il faut ajouter que par rupture avec les séductions du monde, la sainteté, notamment celle des martyrs, a toujours été, de fait, politiquement active.

 A contrario, notre vaticinateur de la paix imminente n’est pas avare de fiel quant à la religion d’hier : « Etre chrétien ne saurait consister à faire le minimum nécessaire pour acquérir une certaine assurance de son salut personnel » ! Cassé, l’ancien ! Mais qui se soucie encore du minimum nécessaire à cette noble fin ? Le fiel, une fois siphonné, déborde : « Si être chrétien est avoir foi dans le Christ, ce n’est pas d’abord l’héritage d’une famille, d’un pays, d’une culture, c’est un choix de Dieu, le fruit d’une élection purement gracieuse, que rien en nous ne mérite. » C’est donc Dieu qui nous choisit, sans « minimum nécessaire » ? Comment ça se passe ? Comment se sait-on choisi ? Est-ce le retour de la prédestination janséniste ? L’évêque rectifie en se contredisant : « Ce choix sans doute s’exprime à travers bien des intermédiaires, ou plutôt bien des médiateurs, tous ceux qui nous ont permis de reconnaître la voix du Christ comme la voix de notre Pasteur, celle qui peut nous conduire sur les chemins de la vie ». Qui sont ces médiateurs, sinon la famille, le pays, la culture, tels qu’ils l’ont été lorsque l’Eglise inspirait la chrétienté ?

 Encore un effort : « L’Eglise est, dans la Trinité, constamment en acte d’aller vers ce monde pour y proclamer la Bonne Nouvelle, et engendrer ceux qui lui sont donnés à la vie de Dieu. » Mais qui fait quoi, concrètement ? « …tout ce qui vient de nous n’a sa pleine valeur devant Dieu et pour l’éternité que si cela s’inscrit dans la communion concrète de l’Eglise » ; « …à cette communion, le Christ Seigneur n’a pas donné de forme plus englobante et plus solide ici-bas que la communion du collège épiscopal … ». Nous brulons : « Chaque évêque en son diocèse n’est pas le délégué du pape, mais l’envoyé du Christ Jésus lui-même, comme chaque prêtre ou diacre dans la part de mission qui lui est confiée, et c’est pour cela précisément qu’aucune initiative comme aucune autorité ne peuvent être fécondes totalement si elles ne conduisent pas vers une union des cœurs plus forte et plus confiante. » ; « Les fidèles laïcs(…)doivent accepter que leur comportement correspondent à la figure que ceux à qui il appartient de le déterminer veulent pour l’Eglise A CE MOMENT LA !!!! ».

A ce niveau d’autolâtrie épiscopale, qui illustre ce que nous notions plus haut, seuls les platoniciens ont la clé : Il faut clarifier cela. Mais préalablement, un petit briefing s’impose : Qu’avons-nous appris au catéchisme ? Notre Seigneur s’est incarné il y a 2000 ans. Il a fondé l’Eglise, gardienne de la Révélation, et cela fait 2000 ans que l’Eglise s’efforce de se perpétuer sans changement au regard de sa mission. L’Eglise remplit sa mission en diffusant et en conservant intact le dépôt de la Foi. De par sa réalité historique, et la puissance vitale de ses membres, l’Eglise exerce de fait une puissante influence politique. Seuls les ennemis de l’Eglise ont historiquement combattu sa puissance temporelle, tant la puissance temporelle est le soutien logistique de toute influence publique. La société christianisée est profondément ordonnée, et, de ce fait, puissamment éducatrice des hommes, pour leur bien particulier, leur bien religieux, et le bien commun. Ces notions sont bien ancrées dans notre mémoire. L’Eglise, fondée par le Christ, a une âme, qui fait vivre à travers l’histoire une essence sacrée, et la conduit vers sa fin eschatologique. L’Eglise a une identité, et la maintient jusqu’au retour de l’Epoux. Tout cela est parlant, sans qu’il soit besoin d’herméneutique. Ces données scholastiques traditionnelles s’adossent à une logique aristotélicienne. Eh bien, Mgr de Moulins Beaufort, au nom du Concile, rompt avec l’enseignement constant. Comment s’y prend-il ? En imposant une logique platonicienne, qui rompt avec le déploiement identitaire, lequel impose à l’Eglise d’être égale à elle-même hier et aujourd’hui. Ce nouveau paradigme conçoit l’Eglise comme étant l’effet au jour le jour du Logos Christique. Quel intérêt, demandez vous ? Le voici : Vous n’imaginiez pas que l’assemblée conciliaire, ayant eu l’audace de se déclarer sacramentelle, allait rester captive des épiscopats d’hier, des Bossuet, des Mgr Pie et Freppel, voire de Mgr Gerlier, fort légitimiste vis-à-vis du Maréchal ? Non, la fidélité n’est pas due à l’Eglise d’hier, mais au Christ invisible, Celui qui diffuse en temps réel son Esprit, ajusté aux besoins du monde d’aujourd’hui, et qui, demain, inspirera le logos de demain. Comme si l’hostie consacrée conservée au tabernacle était le Jésus d’hier, ce qu’un séminariste romain a soutenu devant nous il y a quelques années, en privé ! Le collège épiscopal uni, prétendant tenir du Christ, aujourd’hui, l’esprit pertinent pour aujourd’hui, se dégage d’une fidélité conçue à l’ancienne ; continuité ou rupture théologique? Ce débat n’est plus qu’un faux problème !

 Mgr de Moulins Beaufort prend le risque de dévoiler ce que l’on tait : la source de la légitimité a changé, en toute simplicité ! Excipant du concile, notre prélat expose la gnose qui concentre la rupture du concile avec l’Eglise historique : la sacramentalité de l’Eglise, invention de Vatican II, n’est pas un huitième sacrement, mais celui qui se substitue aux sept autres, ceux que nous aimons et pratiquons. Après s’être hypertrophié, l’épiscopat prend la main et s’hypostasie comme signe de Dieu, aujourd’hui ! C’est énorme, comme dit Lucchini !

Nous comprenons mieux les contrepieds cités plus haut ; le visage du moment pour l’Eglise, tel qu’il est affirmé garanti par le collège épiscopal, et prétendument voulu par le Christ aujourd’hui, n’engage les garants que pour aujourd’hui seulement ! Nous comprenons aussi pourquoi la diaspora des serviteurs inutiles ne gène nullement l’exercice d’un pouvoir directement inspiré par les cieux. Signe de Dieu, l’unité épiscopale est le sacrement qui donne le dieu d’aujourd’hui au monde d’aujourd’hui. Le saviez-vous ?

Ainsi, le dégagement politique de Mgr Hauptmann, et le dégagement historique de Mgr de Moulins Beaufort ne constituent qu’un seul et même processus de désincarnation, de désintégration, et de destruction de l’Eglise-Institution. Ce processus s’est emparé d’une approche néoplatonicienne, et l’affaire n’est pas nouvelle si l’on sait que Porphyre, disciple de Plotin, est le dialecticien le plus hostile que l’Eglise n’ait jamais connu, au 3éme siècle de notre ère. L’incarnation divine est un concept scandaleux pour Porphyre, mais il ne l’est pas moins pour nos Grandeurs, qui campent sur l’Olympe.

Pour les tenants du monde des idées comme seul Réel, l’âme humaine vit temporairement dans la « Caverne » qu’est l’existence terrestre, en prenant un corps humain, mais il s’agit d’une véritable chute ontologique. Car la matière résiste au Logos. Elle en constitue la prison, sous les apparences trompeuses et changeantes d’un réel déformé. Transposons : L’Eglise visible fait obstacle à l’Eglise invisible, comme le corps à l’âme. Le monde accueillera l’Esprit du Christ, quand, et seulement quand l’Eglise visible aura disparu ; quand son corps de mort aura libéré l’éclat du vrai visage de Celui que le monde attend. Paraît-il… L’Eglise visible, selon cette logique, c’est le Titanic ! L’iceberg, c’est Vatican II ! D’aucuns le diront fatal, et d’autres, salutaire en vue de la paix. En attendant, nos novateurs vivent, sans vergogne, de ses dépouilles opimes.

Mais le modèle a ses contradictions, et notamment celle-ci : Pourquoi, seule parmi les institutions vénérables, l’institution ecclésiale a-t-elle une visibilité réputée nuisible à la volonté de ceux qui la gouvernent ? Pourquoi le monde où le sacerdoce commun appelle le fidèle à s’épanouir, non, pardon, à s’évanouir et ce faisant témoigner, est il si avide de l’Evangile, qu’il s’empresse d’en neutraliser les serviteurs en diaspora, par l’action de forces politiques hostiles, et bien visibles, elles. Bref, pourquoi le sabordage de L’Eglise visible serait il devenu agréable à son Chef, 2000 ans après sa fondation ? Notre Dieu se repentirait il de son œuvre ?

Résumons-nous : La rupture instaurée par Vatican II n’est pas neutralisable par des effets de langage. Aucun observateur ne niera l’immense dévalorisation de l’Eglise d’hier, ni le spectaculaire affaiblissement sociétal de l’Eglise conciliarisée, par l’effet d’un concile dit de rajeunissement, au prix d’un reversement des alliances. La chute vertigineuse de la Foi ne saurait être contestée. La seule façon de s’en réjouir était d’en faire un progrès. L’Eglise d’hier était une pierre dans le jardin du monde. Pire encore : Revendiquant de porter la Vérité qui libère en combattant l’hérésie, l’Eglise d’hier portait le glaive en ce monde, en dénonçant ses cibles constantes. Or un souffle nouveau a tout changé : Plus jamais la guerre, scandait Paul VI ! Mais comment changer son fusil d’épaule sans scandale, et durer tout en pliant boutique ? Les coups de génie du concile, les voici : Ne toucher à rien en théologie pour éviter le scandale ; interdire le combat au nom de l’amour ; supprimer la catégorie de l’erreur au nom de la paix ; pour masquer les dégâts, interdire l’évaluation avant un siècle, et surtout, changer la logique de la pensée, changer de paradigme : Rompre avec Aristote, Restaurer Platon. Et changer de modèle en fonction de l’interlocuteur, tout en gardant l’habitus clérical : Toujours avoir le dernier mot à l’encontre des fidèles plus ou moins rétifs. Conserver l’autorité, mais servir d’autres fins !

Quel destin pour l’Eglise, désormais rendue insaisissable par l’assemblée des Pères conciliaires, il y a cinquante ans seulement ? Une réalité transcendante, ineffable, irréfutable, dont le collège épiscopal unifié, donne le visage du dieu bienveillant dont le monde attend aujourd’hui la confirmation de sa dignité immanente. Une Eglise visible, nécessairement active politiquement, faisait obstacle au Logos Christique, comme la matière corporelle restreint la splendeur du Logos qui exprime l’Etre unifié du cosmos. La chrétienté devait mourir, pour qu’advienne la République de l’universel présent, au sein de laquelle Dieu et le monde, c’est tout Un, comme chez Spinoza. Les lendemains déchantent, car le sacrifice du désengagement politique de l’Eglise n’est jamais assez radical et irréversible aux yeux du monde à rassurer ! L’Eglise vivait hier d’affirmation confiante, dans le sillage de ses pasteurs, et dépérit aujourd’hui de « proposition » timorée, dans la crainte d’incommoder le monde. De fait, le monde traque toute résurgence embryonnaire du triomphalisme d’hier, au motif qu’affirmer, c’est menacer. Et ça marche, là où Satan est le prince, mais sélectivement à l’encontre de l’affirmation catholique ! L’Eglise d’hier, contrainte d’héberger et de nourrir le pouvoir qui l’occupe et la régente, fournit toujours la logistique du quotidien, et pourrait bien reprendre les rênes, un jour ou l’autre.

Il faudra bien, un jour ou l’autre, que cette alliance contre nature du gouvernement romain avec les ennemis de l’Eglise soit dénoncée, combattue, et renversée, de l’intérieur même du pouvoir qui verrouille sa dominance actuelle. Justice immanente, et providentielle, la génération de fidèles qui n’a pas connu le concile conteste de plus en plus ouvertement les « performances » du souffle conciliaire. Trois générations cohabitent, et interagissent. Mais il tient au seul gouvernement romain de faire prévaloir une ontologie historiquement féconde, à l’encontre d’une autre ontologie, qui sert le pouvoir, mais détruit l’Arche de Salut des sociétés et des âmes. Quant à la guerre, état naturel des peuples selon le Docteur Angélique, elle fait rage ! Partout, et de plus en plus, au détriment des chrétiens qui veulent le rester. Merci, Messeigneurs ! Esprit d’Assise, quand tu nous tiens, on peut bien dire, adieu prudence.

Le psychiatre a-t-il éclairé quoi que ce soit ? Non, si l’on se désintéresse de la souffrance des bons serviteurs, et notamment des prêtres fidèles. Oui, peut-être, si l’on veut identifier l’incroyable violence faite aux humbles, aux petits, aux sans grades, pour qui la Foi était le seul patrimoine et dont la culture catholique est dévaluée par le clergé en qui ils voyaient un allié naturel et pérenne. Et l’outrage fait à notre Créateur et Rédempteur, expression suicidaire de la haine de soi, qui interdit d’aimer quiconque. Au nom de l’Alliance du Christ et de l’Eglise, l’alliance exigée des conciliaires a détruit la piété des âmes, et les familles trop confiantes. Leur martyre a été dénaturé en dépression. Oui, ils en répondront devant Dieu.

Philippe de Labriolle

Psychiatre Honoraire des Hôpitaux

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