Notre lettre 1291 publiée le 24 octobre 2025
L’ESSOR DES PÈLERINAGES TRADIS :
PLUTÔT QUE DES COUPS DE CROSSE,
SI LES ÊVÈQUES OPTAIENT POUR LES COUPS DE MAINS ?
Le 16 octobre dernier, le quotidien La Croix publiait un article fort intéressant sur un phénomène à la fois récent et qui a tout lieu d’apparaître irrésistible : le développement, dans le paysage ecclésial français, de pèlerinages tradis régionaux fin septembre/début octobre.
Ces initiatives de fidèles ont pour point commun de marier identité régionale et liturgie tridentine, avec un indéniable succès. Tels des échos, en local, des pèlerinages de Chartres organisés à la Pentecôte, ces pèlerinages régionaux poussent comme des champignons à l’heure de l’automne. Originellement, l’intuition a jailli en Bretagne en 2018, avec le pèlerinage Feiz e Breizh (“Foi et Bretagne”, en breton). La première édition rassemblait alors quelques 150 marcheurs. Huit ans plus tard, ce sont plus de 3000 pèlerins qui, dans et hors de la basilique Sainte-Anne-D'auray, assistaient le 21 septembre à la messe pontificale de clôture du pèlerinage célébrée par Mgr Centène. Le pèlerinage Nosto Fe (“Notre Foi”, en provençal), organisé entre le sanctuaire de Cotignac et la basilique Saint-Maximin, fédérait, pour sa deuxième édition le week-end du 4-5 octobre dernier, une foule de pèlerins aussi massive que son cousin breton. Le même week-end, les Normands lançaient leur premier pèlerinage Dex Aïe ! (“Dieu, à l’aide ! ”, en normand) en direction du Mont Saint-Michel avec plus de 600 participants. Sur les sentiers du Béarn et de la Bigorre, au cœur des Pyrénées, Basques, Béarnais et Gascons se réunissaient eux aussi pour une première édition, sous l’égide de l’association Arrebastir (“Reconstruire”, en gascon). Mais quelle peut-être donc la raison de cet élan multiplié – qui ne faiblit pas ! – entre identité régionale et messe de saint Pie V ? Le président de l’association Feiz e Breizh, Bertrand de Tinténiac, la précise justement dans une jolie formule : « La confluence de la liturgie traditionnelle et de l’enracinement régional est confondante de beauté ». La clef de cette réussite missionnaire réside sans aucun doute dans cette double mise à l’honneur et de la messe traditionnelle et des traditions locales.
Jusqu’ici, il n’y aurait qu’à se réjouir de ces étincelles d’espérance qui, ça et là, forment des foyers de chaleur et de lumière dans un quotidien français trop souvent morne et nuageux. Quelle joie que ces foules en marche derrière les croix de leur chapitre ! Et quel contraste avec une actualité catholique hexagonale occupée davantage, hélas, par le scandale des abus en tous genres, le manque cruel de vocation ou la chute vertigineuse du denier du culte. Les rayons de soleil d’où qu’ils viennent sont, le bon sens le fait dire, à saluer et à cajoler. Pourtant, nous apprend La Croix, il semblerait que ces initiatives soient scrutées par les évêques. « Si dans plusieurs régions, l’entente entre pèlerinages traditionalistes et évêques est bonne, certaines initiatives n’ont pas été accueillies, favorablement dans l’épiscopat, qui a évoqué ce sujet lors de son assemblée d’automne 2024. » Ainsi, le pèlerinage Via Lucis, dans le pays lyonnais, s’est vu frappé d’interdit par Mgr de Germay en raison de l’attachement des organisateurs au rite lyonnais. Non loin, en Savoie, l’évêque de Chambéry a accepté que le pèlerinage Notre-Dame des Cimes se tienne à une condition : qu’il n’en soit pas fait trop de promotion sur les réseaux sociaux en amont… Dans cette même veine, l’un des présidents de ces pèlerinages locaux a dû, dans un dialogue courtois mais ferme, défendre auprès des évêques de la province ecclésiastique l’identité liturgique de l’association qui organise la marche. Alors que les évêques lui faisaient part de leur désappointement devant le succès de son pèlerinage et de la liturgie traditionnelle qui l’anime, le plus important d’eux lâche : « Si vous étiez deux cents, cela ne poserait pas de difficulté. Le problème, c’est que vous êtes trois mille… » Autre situation lunaire, cette fois-ci dans le diocèse de Coutances. La Croix nous apprend que les responsables du pèlerinage, loin d’être soutenus par leur évêque Mgr Cador, se sont vus au contraire interdire la messe de clôture sur le territoire du diocèse au motif de la célébration du rite antique de la messe. Loin de se débiner, la colonne s’est déplacée à l’Ouest du Couesnon pour bénéficier du rite tridentin. Dans le même temps, le dimanche 28 septembre, Mgr Michel, évêque du diocèse de Nancy-Toul, autorisait (et l’on s’en réjouit !) les 500 fidèles du pèlerinage, organisé par la Fraternité Sacerdotale Saint Pie-X, à accéder à la basilique Saint-Nicolas-de-Port et assister dans sa spacieuse nef à la messe de clôture de leur habituelle marche de rentrée en l’honneur de saint Nicolas. Devant un tel spectacle truffé d’incohérences et de désaccords, on ne croit pas rêver : on se réalise en plein cauchemar éveillé. Dans l’empire de la confusion, la folie est reine. Là, tel évêque en poste célèbre la messe pontificale, là tel autre interdit tout, l’autre restreint mais pas tout, un énième accepte, mais du bout des lèvres, « surtout pas de vagues » devine-t-on. Dans le même temps, ce dimanche à Rome, dans la cathédrale Saint-Pierre de Rome, au cœur du cœur du Vatican, une messe pontificale traditionnelle sera célébrée sur l’autel de la chaire de Saint-Pierre avec l’autorisation du pape Léon XIV.

Disons-le. Au-delà des laisser-passer épiscopaux, ce qui frappe, c’est le peu de cas que semblent faire les évêques du bien des âmes à l’occasion de ces pèlerinages régionaux et traditionnels. « Des initiatives scrutées par les évêques » relate fort bien La Croix. Scrutées ? Vraiment ? Et c’est là tout le problème et tout l’enjeu. Quel mal font donc ces fidèles qui se pressent à ces rendez-vous où se mêlent bonne ambiance et sanctification ? Des gens chantent et se confessent ? Des familles prient et se retrouvent ? Des fidèles se rencontrent, rient et sont heureux ? Des âmes parlent avec des prêtres ? Oui, absolument. Il se passe tout cela, et bien plus encore ! Mais alors ? Quel problème cela pose-t-il ? Serions-nous revenus à la Terreur et à la loi des suspects ? Et pourquoi ? Parce que les évêques n’auraient pas l’emprise sur ces initiatives ? Parce que leurs poumons seraient trop identitaires (rooooh le mot très dangereux !) et trop traditionnels (oula, les méchants intégristes !) ?
Plutôt que des coups de crosse, les fidèles attendent de leurs évêques des coups de main. Les pèlerins ne réclament pas d’être scrutés comme ils le sont déjà par le fisc, les radars, la police de la pensée et on en passe… Cela suffit ! Les fidèles attachés à la Tradition ne demandent qu’à être aimés par leurs pasteurs, encouragés dans leur fidélité et accompagnés dans leur croissance. Les pèlerinages traditionnels aspirent à ce que les évêques ne cherchent point de poux dans la barrette des clercs qui les accompagnent, mais plutôt qu’ils encouragent ces prêtres à guider vers le ciel les marcheurs qu’ils prennent le temps d’accompagner. En un mot comme en un cent, l’écosystème traditionnel réclame davantage de dialogue et moins d’oukases. Que cesse cette suspicion dévastatrice pour le bien des âmes, quand ces dernières ne veulent que contribuer à bâtir la civilisation de l’amour !





